Chaque année, Pampelune devient l'épicentre d'une tradition séculaire qui attire des milliers de visiteurs du monde entier : les fêtes de San Fermín. Au cœur de ces célébrations, l'encierro, cette course effrénée où hommes et taureaux partagent les rues étroites de la ville, captive l'imagination et suscite à la fois fascination et controverse. Mêlant danger, adrénaline et folklore, cet événement unique offre un aperçu saisissant de la culture espagnole et de son rapport complexe avec la tauromachie.
Histoire et origines des sanfermines à pampelune
Les fêtes de San Fermín plongent leurs racines dans un passé lointain, remontant au Moyen Âge. Initialement, ces célébrations honoraient Saint Firmin, premier évêque de Pampelune et martyr chrétien du IIIe siècle. Au fil des siècles, la dimension religieuse s'est progressivement enrichie d'éléments profanes, donnant naissance à un festival unique en son genre.
C'est au XVIe siècle que les courses de taureaux ont fait leur apparition dans le cadre des festivités. À l'origine, ces courses servaient à conduire les taureaux des enclos extérieurs vers les arènes de la ville pour les corridas. Peu à peu, des jeunes hommes téméraires ont commencé à courir devant les taureaux, donnant naissance à la tradition de l'encierro telle que nous la connaissons aujourd'hui.
La renommée internationale des Sanfermines doit beaucoup à Ernest Hemingway. L'écrivain américain, fasciné par l'atmosphère enivrante et le courage des participants, a immortalisé ces fêtes dans son roman "Le soleil se lève aussi" (1926). Son récit a propulsé Pampelune et ses célébrations sur la scène mondiale, attirant des visiteurs de tous horizons.
Anatomie d'un encierro : parcours et protocole
L'encierro, point culminant des fêtes de San Fermín, suit un protocole strict et un parcours bien défini. Chaque matin, du 7 au 14 juillet, à 8 heures précises, le spectacle commence, transformant les rues de Pampelune en une arène à ciel ouvert.
Itinéraire détaillé de la course de 875 mètres
Le parcours de l'encierro s'étend sur 875 mètres, traversant le cœur historique de Pampelune. Il débute dans les corrales de Santo Domingo, où les taureaux sont gardés la nuit précédant la course. De là, le trajet emprunte les rues étroites et sinueuses du centre-ville, notamment la célèbre Calle Estafeta, avant de se terminer dans les arènes où se déroulera la corrida de l'après-midi.
Ce parcours présente plusieurs points critiques, comme le virage serré de la rue Mercaderes, surnommé "la curva", où les accidents sont fréquents. La configuration du terrain, avec ses montées et ses descentes, ajoute à la difficulté et au danger de la course.
Rôles spécifiques : pastores, dobladores et corredores
L'encierro mobilise divers acteurs aux rôles bien définis :
- Les pastores (bergers) : Vêtus de vert, ils guident le troupeau et interviennent en cas de danger.
- Les dobladores : Chargés de diriger les taureaux égarés vers les arènes.
- Les corredores (coureurs) : Participants volontaires qui tentent de courir devant les taureaux.
Signaux sonores et visuels réglementaires
La course est rythmée par des signaux précis :
- Premier coup de fusée : Ouverture des portes des corrales, début de la course.
- Deuxième coup : Tous les taureaux ont quitté les corrales.
- Troisième coup : Les taureaux sont entrés dans les arènes.
- Quatrième coup : Fin officielle de l'encierro, les taureaux sont dans le
toril
des arènes.
Races taurines utilisées : miura, victoriano del río, jandilla
Les taureaux sélectionnés pour l'encierro appartiennent à des ganaderías (élevages) réputées. Les races les plus prestigieuses, comme les Miura, Victoriano del Río ou Jandilla, sont choisies pour leur puissance et leur bravoure. Ces taureaux, pesant entre 500 et 600 kg, sont élevés spécifiquement pour la corrida et l'encierro, contribuant à la réputation et au prestige des Sanfermines.
Techniques et stratégies des mozos expérimentés
Courir l'encierro n'est pas un acte irréfléchi pour les mozos expérimentés. Ces coureurs aguerris ont développé au fil des années des techniques et des stratégies sophistiquées pour maximiser leurs chances de survie et vivre pleinement l'expérience.
Positionnement optimal dans la manada
Le positionnement au sein du troupeau ( manada ) est crucial. Les coureurs les plus expérimentés cherchent à se placer juste devant les cornes des taureaux, dans ce qu'on appelle le hueco
(le creux). Cette position, bien que la plus dangereuse, offre le frisson ultime et la meilleure visibilité pour anticiper les mouvements des animaux.
Certains préfèrent courir sur les côtés du troupeau, une position moins risquée mais qui permet tout de même de ressentir l'adrénaline de la proximité avec les taureaux. D'autres encore optent pour une course en début de parcours, avant de se mettre en sécurité dans les zones protégées.
Gestion de l'épuisement sur le parcours accidenté
Le parcours de l'encierro, avec ses montées, ses descentes et ses virages serrés, exige une excellente condition physique et une gestion intelligente de l'effort. Les coureurs expérimentés savent doser leur énergie, alternant entre des sprints courts et des moments de récupération.
Ils utilisent également la configuration du terrain à leur avantage, accélérant dans les descentes et économisant leurs forces dans les montées. La connaissance approfondie du parcours est un atout majeur, permettant d'anticiper les zones difficiles et de planifier sa course en conséquence.
Tactiques d'évitement des cogidas mortelles
Éviter une cogida (coup de corne) potentiellement mortelle est la priorité absolue de tout coureur. Les mozos expérimentés ont développé plusieurs tactiques :
- La "technique du saut" : sauter par-dessus la barrière en cas de danger imminent.
- Le "roulé-boulé" : se laisser tomber et rouler pour éviter les cornes.
- L'utilisation stratégique des recoins et des portes pour se mettre à l'abri rapidement.
Ces techniques, fruit d'années d'expérience et d'observation, sont transmises de génération en génération parmi les coureurs locaux.
"Courir l'encierro, c'est comme danser avec la mort. Chaque pas, chaque décision peut être la dernière. Mais c'est aussi une célébration de la vie dans ce qu'elle a de plus intense."
Controverse et débats éthiques autour de l'encierro
L'encierro, malgré sa popularité et son ancrage culturel, suscite de vives controverses et des débats éthiques passionnés. Les opposants dénoncent la cruauté envers les animaux et les risques inconsidérés pris par les participants, tandis que les défenseurs invoquent la tradition et l'importance culturelle de l'événement.
Les arguments contre l'encierro se concentrent sur plusieurs aspects :
- Le stress et la souffrance infligés aux taureaux.
- Les blessures et les décès occasionnels parmi les coureurs.
- La promotion d'une culture de la violence et du machisme.
De l'autre côté, les partisans de l'encierro mettent en avant :
- L'héritage culturel et historique de l'événement.
- Son importance économique pour la région.
- La liberté individuelle des participants de prendre des risques calculés.
Ces débats ont conduit à des réflexions sur l'évolution possible de l'encierro. Certains proposent des alternatives, comme l'utilisation de taureaux en plastique ou l'organisation de courses sans animaux. D'autres suggèrent un renforcement des mesures de sécurité et une sensibilisation accrue aux risques.
La question de l'encierro s'inscrit dans un débat plus large sur la place de la tauromachie dans la société moderne. Alors que certaines régions d'Espagne ont interdit les corridas, Pampelune reste attachée à cette tradition, tout en cherchant à l'adapter aux sensibilités contemporaines.
Impact économique et touristique sur pampelune
Les fêtes de San Fermín, et en particulier l'encierro, ont un impact économique considérable sur Pampelune et la région de Navarre. Chaque année, l'événement attire plus d'un million de visiteurs, transformant la ville en une destination touristique de premier plan pendant une semaine.
L'afflux massif de touristes génère des retombées économiques significatives :
- Le secteur hôtelier affiche complet pendant toute la durée des festivités.
- Les restaurants et bars connaissent une activité intense.
- Les commerces locaux bénéficient d'une augmentation substantielle de leur chiffre d'affaires.
- L'artisanat et les souvenirs liés à San Fermín connaissent un pic de ventes.
Selon les estimations, l'impact économique direct et indirect des Sanfermines s'élève à plusieurs centaines de millions d'euros. Cette manne financière est cruciale pour l'économie locale, créant des emplois saisonniers et stimulant l'investissement dans les infrastructures touristiques.
Cependant, cet afflux massif de visiteurs pose également des défis en termes de gestion urbaine et environnementale. La ville doit faire face à une augmentation significative des déchets, à des problèmes de sécurité et à une pression accrue sur ses infrastructures.
"Les Sanfermines sont notre patrimoine, mais aussi notre avenir économique. C'est un équilibre délicat entre préservation de la tradition et adaptation aux réalités du tourisme moderne."
Sanfermines au-delà des encierros : festivités parallèles
Bien que l'encierro soit l'événement le plus médiatisé des Sanfermines, les fêtes de San Fermín offrent une multitude d'autres célébrations et traditions qui méritent l'attention. Ces festivités parallèles contribuent à l'atmosphère unique de la semaine et attirent des visiteurs de tous horizons.
Procession de san fermín le 7 juillet
Le 7 juillet, jour de la Saint-Firmin, une procession solennelle traverse les rues de Pampelune. La statue en argent du saint, portée par des membres de la confrérie de San Fermín, est accompagnée par les autorités civiles et religieuses, ainsi que par des milliers de fidèles. Cette procession, empreinte de ferveur religieuse, rappelle les origines sacrées des festivités.
Le parcours de la procession est jalonné de moments forts, notamment lorsque la statue s'arrête devant l'église San Lorenzo, où des chanteurs interprètent la Jota a San Fermín , un chant traditionnel en l'honneur du saint patron.
Chupinazo d'ouverture sur la plaza consistorial
Le chupinazo , coup d'envoi officiel des fêtes, a lieu le 6 juillet à midi sur la Plaza Consistorial, devant l'hôtel de ville. Des milliers de personnes, vêtues de blanc et rouge, se rassemblent pour assister au lancement d'une fusée depuis le balcon de la mairie, accompagné du cri "Viva San Fermín! Gora San Fermín!".
Ce moment marque le début d'une semaine de festivités ininterrompues. L'atmosphère est électrique, avec des jets de sangria, des chants et des danses qui se poursuivent bien après le lancement officiel.
Pobre de mí : cérémonie de clôture le 14 juillet
Les Sanfermines se terminent le 14 juillet à minuit avec la cérémonie du Pobre de mí
(Pauvre de moi). Sur la Plaza Consistorial, des milliers de personnes se rassemblent, tenant des bougies allumées. Ensemble, ils chantent la mélancolique chanson "Pobre de mí, pobre de mí, que se han acabado las fiestas de San Fermín" (Pauvre de moi, pauvre de moi, les fêtes de San Fermín sont terminées).
Cette cérémonie émouvante marque la fin officielle des festivités. Les participants retirent alors leurs foulards rouges, symbole de leur participation aux fêtes, et les brandissent au-dessus de leur tête en signe d'adieu.
Au-delà de ces moments emblématiques, les Sanfermines offrent une multitude d'activités culturelles et festives : concerts, spectacles de danse traditionnelle, feux d'artif
ice, expositions, défilés de géants et de grosses têtes, compétitions sportives traditionnelles, et bien d'autres animations qui font vivre la ville jour et nuit.Ces festivités parallèles permettent aux visiteurs de découvrir la richesse culturelle de Pampelune et de la Navarre au-delà de l'encierro. Elles offrent également des alternatives plus familiales et moins risquées pour ceux qui souhaitent vivre l'esprit des Sanfermines sans participer à la course de taureaux."Les Sanfermines sont bien plus qu'une simple course de taureaux. C'est une célébration de notre culture, de notre histoire et de notre capacité à nous réunir dans la joie et la fraternité."
Ainsi, les fêtes de San Fermín représentent un kaléidoscope d'expériences, alliant tradition séculaire et festivités modernes. Elles offrent à chacun, qu'il soit local ou visiteur, l'opportunité de vivre des moments uniques et de s'immerger dans l'âme vibrante de Pampelune.
Que l'on soit attiré par l'adrénaline de l'encierro, la ferveur religieuse de la procession, l'euphorie du chupinazo ou l'émotion du Pobre de mí, les Sanfermines promettent une expérience inoubliable, profondément ancrée dans l'identité culturelle de la Navarre et de l'Espagne.